Louis Segond 1910
Versliste
Job prit de nouveau la parole sous forme sentencieuse et dit:
Dieu qui me refuse justice est vivant! Le Tout-Puissant qui remplit mon âme d'amertume est vivant!
Aussi longtemps que j'aurai ma respiration, Et que le souffle de Dieu sera dans mes narines,
Mes lèvres ne prononceront rien d'injuste, Ma langue ne dira rien de faux.
Loin de moi la pensée de vous donner raison! Jusqu'à mon dernier soupir je défendrai mon innocence;
Je tiens à me justifier, et je ne faiblirai pas; Mon coeur ne me fait de reproche sur aucun de mes jours.
Job prit la parole et dit:
Comme tu sais bien venir en aide à la faiblesse! Comme tu prêtes secours au bras sans force!
Quels bons conseils tu donnes à celui qui manque d'intelligence! Quelle abondance de sagesse tu fais paraître!
A qui s'adressent tes paroles? Et qui est-ce qui t'inspire?
Devant Dieu les ombres tremblent Au-dessous des eaux et de leurs habitants;
Devant lui le séjour des morts est nu, L'abîme n'a point de voile.
Il étend le septentrion sur le vide, Il suspend la terre sur le néant.
Il renferme les eaux dans ses nuages, Et les nuages n'éclatent pas sous leur poids.
Il couvre la face de son trône, Il répand sur lui sa nuée.
Il a tracé un cercle à la surface des eaux, Comme limite entre la lumière et les ténèbres.
Les colonnes du ciel s'ébranlent, Et s'étonnent à sa menace.
Par sa force il soulève la mer, Par son intelligence il en brise l'orgueil.
Son souffle donne au ciel la sérénité, Sa main transperce le serpent fuyard.
Ce sont là les bords de ses voies, C'est le bruit léger qui nous en parvient; Mais qui entendra le tonnerre de sa puissance?
J'avais fait un pacte avec mes yeux, Et je n'aurais pas arrêté mes regards sur une vierge.
Quelle part Dieu m'eût-il réservée d'en haut? Quel héritage le Tout-Puissant m'eût-il envoyé des cieux?
La ruine n'est-elle pas pour le méchant, Et le malheur pour ceux qui commettent l'iniquité?
Dieu n'a-t-il pas connu mes voies? N'a-t-il pas compté tous mes pas?
Si j'ai marché dans le mensonge, Si mon pied a couru vers la fraude,
Que Dieu me pèse dans des balances justes, Et il reconnaîtra mon intégrité!
Si mon pas s'est détourné du droit chemin, Si mon coeur a suivi mes yeux, Si quelque souillure s'est attachée à mes mains,
Que je sème et qu'un autre moissonne, Et que mes rejetons soient déracinés!
Si mon coeur a été séduit par une femme, Si j'ai fait le guet à la porte de mon prochain,
Que ma femme tourne la meule pour un autre, Et que d'autres la déshonorent!
Car c'est un crime, Un forfait que punissent les juges;
C'est un feu qui dévore jusqu'à la ruine, Et qui aurait détruit toute ma richesse.
Si j'ai méprisé le droit de mon serviteur ou de ma servante Lorsqu'ils étaient en contestation avec moi,
Qu'ai-je à faire, quand Dieu se lève? Qu'ai-je à répondre, quand il châtie?
Celui qui m'a créé dans le ventre de ma mère ne l'a-t-il pas créé? Le même Dieu ne nous a-t-il pas formés dans le sein maternel?
Si j'ai refusé aux pauvres ce qu'ils demandaient, Si j'ai fait languir les yeux de la veuve,
Si j'ai mangé seul mon pain, Sans que l'orphelin en ait eu sa part,
Moi qui l'ai dès ma jeunesse élevé comme un père, Moi qui dès ma naissance ai soutenu la veuve;
Si j'ai vu le malheureux manquer de vêtements, L'indigent n'avoir point de couverture,
Sans que ses reins m'aient béni, Sans qu'il ait été réchauffé par la toison de mes agneaux;
Si j'ai levé la main contre l'orphelin, Parce que je me sentais un appui dans les juges;
Que mon épaule se détache de sa jointure, Que mon bras tombe et qu'il se brise!
Car les châtiments de Dieu m'épouvantent, Et je ne puis rien devant sa majesté.
Si j'ai mis dans l'or ma confiance, Si j'ai dit à l'or: Tu es mon espoir;
Si je me suis réjoui de la grandeur de mes biens, De la quantité des richesses que j'avais acquises;
Si j'ai regardé le soleil quand il brillait, La lune quand elle s'avançait majestueuse,
Et si mon coeur s'est laissé séduire en secret, Si ma main s'est portée sur ma bouche;
C'est encore un crime que doivent punir les juges, Et j'aurais renié le Dieu d'en haut!
Si j'ai été joyeux du malheur de mon ennemi, Si j'ai sauté d'allégresse quand les revers l'ont atteint,
Moi qui n'ai pas permis à ma langue de pécher, De demander sa mort avec imprécation;
Si les gens de ma tente ne disaient pas: Où est celui qui n'a pas été rassasié de sa viande?
Si l'étranger passait la nuit dehors, Si je n'ouvrais pas ma porte au voyageur;
Si, comme les hommes, j'ai caché mes transgressions, Et renfermé mes iniquités dans mon sein,
Parce que j'avais peur de la multitude, Parce que je craignais le mépris des familles, Me tenant à l'écart et n'osant franchir ma porte...
Oh! qui me fera trouver quelqu'un qui m'écoute? Voilà ma défense toute signée: Que le Tout-Puissant me réponde! Qui me donnera la plainte écrite par mon adversaire?
Je porterai son écrit sur mon épaule, Je l'attacherai sur mon front comme une couronne;
Je lui rendrai compte de tous mes pas, Je m'approcherai de lui comme un prince.
Si ma terre crie contre moi, Et que ses sillons versent des larmes;
Si j'en ai mangé le produit sans l'avoir payée, Et que j'aie attristé l'âme de ses anciens maîtres;
Qu'il y croisse des épines au lieu de froment, Et de l'ivraie au lieu d'orge! Fin des paroles de Job.
Job prit de nouveau la parole sous forme sentencieuse et dit:
Dieu qui me refuse justice est vivant! Le Tout-Puissant qui remplit mon âme d'amertume est vivant!
Aussi longtemps que j'aurai ma respiration, Et que le souffle de Dieu sera dans mes narines,
Mes lèvres ne prononceront rien d'injuste, Ma langue ne dira rien de faux.
Loin de moi la pensée de vous donner raison! Jusqu'à mon dernier soupir je défendrai mon innocence;
Je tiens à me justifier, et je ne faiblirai pas; Mon coeur ne me fait de reproche sur aucun de mes jours.
Que mon ennemi soit comme le méchant, Et mon adversaire comme l'impie!
Quelle espérance reste-t-il à l'impie, Quand Dieu coupe le fil de sa vie, Quand il lui retire son âme?
Est-ce que Dieu écoute ses cris, Quand l'angoisse vient l'assaillir?
Fait-il du Tout-Puissant ses délices? Adresse-t-il en tout temps ses prières à Dieu?
Je vous enseignerai les voies de Dieu, Je ne vous cacherai pas les desseins du Tout-Puissant.
Mais vous les connaissez, et vous êtes d'accord; Pourquoi donc vous laisser aller à de vaines pensées?
Voici la part que Dieu réserve au méchant, L'héritage que le Tout-Puissant destine à l'impie.
S'il a des fils en grand nombre, c'est pour le glaive, Et ses rejetons manquent de pain;
Ceux qui échappent sont enterrés par la peste, Et leurs veuves ne les pleurent pas.
S'il amasse l'argent comme la poussière, S'il entasse les vêtements comme la boue,
C'est lui qui entasse, mais c'est le juste qui se revêt, C'est l'homme intègre qui a l'argent en partage.
Sa maison est comme celle que bâtit la teigne, Comme la cabane que fait un gardien.
Il se couche riche, et il meurt dépouillé; Il ouvre les yeux, et tout a disparu.
Les terreurs le surprennent comme des eaux; Un tourbillon l'enlève au milieu de la nuit.
Le vent d'orient l'emporte, et il s'en va; Il l'arrache violemment de sa demeure.
Dieu lance sans pitié des traits contre lui, Et le méchant voudrait fuir pour les éviter.
On bat des mains à sa chute, Et on le siffle à son départ.
Job prit de nouveau la parole sous forme sentencieuse et dit:
Elle leur dit: Ne m'appelez pas Naomi; appelez-moi Mara, car le Tout-Puissant m'a remplie d'amertume.