Louis Segond 1910
Versliste
Pourquoi m'as-tu fait sortir du sein de ma mère? Je serais mort, et aucun oeil ne m'aurait vu;
Je serais comme si je n'eusse pas existé, Et j'aurais passé du ventre de ma mère au sépulcre.
Mes jours ne sont-ils pas en petit nombre? Qu'il me laisse, Qu'il se retire de moi, et que je respire un peu,
Avant que je m'en aille, pour ne plus revenir, Dans le pays des ténèbres et de l'ombre de la mort,
Pays d'une obscurité profonde, Où règnent l'ombre de la mort et la confusion, Et où la lumière est semblable aux ténèbres.
Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance.
Il prit la parole et dit:
Périsse le jour où je suis né, Et la nuit qui dit: Un enfant mâle est conçu!
Ce jour! qu'il se change en ténèbres, Que Dieu n'en ait point souci dans le ciel, Et que la lumière ne rayonne plus sur lui!
Que l'obscurité et l'ombre de la mort s'en emparent, Que des nuées établissent leur demeure au-dessus de lui, Et que de noirs phénomènes l'épouvantent!
Cette nuit! que les ténèbres en fassent leur proie, Qu'elle disparaisse de l'année, Qu'elle ne soit plus comptée parmi les mois!
Que cette nuit devienne stérile, Que l'allégresse en soit bannie!
Qu'elle soit maudite par ceux qui maudissent les jours, Par ceux qui savent exciter le léviathan!
Que les étoiles de son crépuscule s'obscurcissent, Qu'elle attende en vain la lumière, Et qu'elle ne voie point les paupières de l'aurore!
Car elle n'a pas fermé le sein qui me conçut, Ni dérobé la souffrance à mes regards.
Pourquoi ne suis-je pas mort dans le ventre de ma mère? Pourquoi n'ai-je pas expiré au sortir de ses entrailles?
Pourquoi ai-je trouvé des genoux pour me recevoir, Et des mamelles pour m'allaiter?
Je serais couché maintenant, je serais tranquille, Je dormirais, je reposerais,
Avec les rois et les grands de la terre, Qui se bâtirent des mausolées,
Avec les princes qui avaient de l'or, Et qui remplirent d'argent leurs demeures.
Ou je n'existerais pas, je serais comme un avorton caché, Comme des enfants qui n'ont pas vu la lumière.
Là ne s'agitent plus les méchants, Et là se reposent ceux qui sont fatigués et sans force;
Les captifs sont tous en paix, Ils n'entendent pas la voix de l'oppresseur;
Le petit et le grand sont là, Et l'esclave n'est plus soumis à son maître.
Pourquoi donne-t-il la lumière à celui qui souffre, Et la vie à ceux qui ont l'amertume dans l'âme,
Qui espèrent en vain la mort, Et qui la convoitent plus qu'un trésor,
Qui seraient transportés de joie Et saisis d'allégresse, s'ils trouvaient le tombeau?
A l'homme qui ne sait où aller, Et que Dieu cerne de toutes parts?
Mes soupirs sont ma nourriture, Et mes cris se répandent comme l'eau.
Ce que je crains, c'est ce qui m'arrive; Ce que je redoute, c'est ce qui m'atteint.
Je n'ai ni tranquillité, ni paix, ni repos, Et le trouble s'est emparé de moi.
Oui, tu m'as fait sortir du sein maternel, Tu m'as mis en sûreté sur les mamelles de ma mère;
Et j'ai trouvé les morts qui sont déjà morts plus heureux que les vivants qui sont encore vivants,
et plus heureux que les uns et les autres celui qui n'a point encore existé et qui n'a pas vu les mauvaises actions qui se commettent sous le soleil.
Eternel! dis-moi quel est le terme de ma vie, Quelle est la mesure de mes jours; Que je sache combien je suis fragile.
Ecoute ma prière, Eternel, et prête l'oreille à mes cris! Ne sois pas insensible à mes larmes! Car je suis un étranger chez toi, Un habitant, comme tous mes pères.
La terre était informe et vide: il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme, et l'esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux.